Grades et Aïkido
Les passages de grades sont un passage obligé pour la quasi-totalité des pratiquants. Il y a de cela fort longtemps mais ceci ne représente que quelques décennies il n’y avait guère de passages de grades, on pratiquait et son enseignant ou son Maître décernait après un certain temps une ceinture noire ou un niveau. Il n’y avait par la suite pas d’autre distinction. Et si on recule plus loin encore dans le temps on bénéficiait d’un enseignement et il n’y avait aucune ceinture on était élève de X ou on pratiquait à l’école de « Y » depuis x années. Mais il est vrai qu’il y avait un processus de sélection des élèves qui n’a plus cours de nos jours.
Dans les temps anciens pour pouvoir se comparer si comparaison était nécessaire on pratiquait et le moyen le plus simple était le combat. Se lancer dans une comparaison entre écoles était assez hardie et nécessitait une bonne dose de technique et/ou d’inconscience. Les livres, la tradition orale regorgent d’histoires de pratiquants allant de dojo en dojo qui défiaient les maîtres et bien sûr gagnaient. En revanche peu de traces sur les centaines ou milliers d’anonymes suffisamment sur d’eux ou suffisamment obligés vis-à-vis de leurs Maîtres pour aller défier une autre école et en revenir blessé ou y mourir.
On pratiquait pour survivre car on était un guerrier, un samouraï ou un soldat et les combats servaient de passage de grades. Il n’était nul besoin de jury pour savoir si on était reçu. Le monde a changé et il est devenu rare que des personnes usent les tatamis pour combattre pour survivre. Une des formes modernes de ce type d’apprentissage réside dans les combats de mixed martial arts (MMA) avec ses variantes en cage ou en ring (L’Ultimate Fighting Championship), Le Cage Rage et Cage Warriors, KOTC ou King of the Cage), WEC (World Extreme Cagefighting), Le TKO Major League MMA, La Dream, Le PRIDE, Le K-1 Hero’s, Le Jungle fight, Le Rings…) avec un niveau technique qui a particulièrement progressé depuis leur origine avec une « sauvagerie » qui a décrue au profit de la technicité des combattants.
Les arts martiaux et l’Aïkido en particulier sont très loin de cet état d’esprit passé ou celui actuel des MMA.
Nous sommes dans une ère où les grades ponctuent notre parcours, certains ont peu ou prou comme seul objectif de passer des grades le plus vite et le mieux possible, chaque grade obtenu étant le sésame pour aller à l’étape suivante, seul signe de réussite. D’autres au contraire n’ont pas cette motivation et ne sont guères intéressés par aligner des kyu ou des grades comme autant de trophées sans valeur, la pratique est leur motivation.
Le passé n’avait pas de grade et la motivation actuelle des pratiquants est éminemment variable. Qu’en est-il de la structure actuelle des grades en France ?
Jusqu’au 1er kyu les passages se font dans chaque club à la discrétion de chaque enseignant et c’est à partir du 1er dan (Shodan) que les pratiquants sont confrontés à des instances initialement régionales (Shodan et nidan) puis nationales (sandan et plus). La Commission Spécialisée des Dan et Grades équivalents (CSDGE) valident ce qu’un jury a décidé lors d’un examen régional ou national. La CSDGE est une commission essentiellement technique, composée d’experts haut gradés. Les co-présidents et les membres de la C.S.D.G.E. de l’Union Fédérale d’Aïkido (UFA) sont nommés par arrêté du Ministre des Sports. La commission spécialisée des dans et grades équivalents de l’U.F.A. contribue à maintenir l’unité des grades dans les disciplines relevant de l’UFA et les deux principales fédérations françaises FFAB et FFAAA y sont représentées. Les grades ont ainsi été institutionnalisés dans des structures à un niveau qui dépasse largement l’ancestral dojo.
Le programme qui sert de guide aux passages indique les techniques et les délais moyens requis entre chaque niveau j’ai mis en exergue celui donné par la FFAAA (cf. tableau 1). Pour ma part je prends ce tableau comme repère et respecte les délais indiqués. Nous sommes dans une fédération autant respecter ce qu’elle indique même s’il faut interpréter avec précaution ce tableau qui n’est qu’indicatif.
Quand on analyse le déroulé des passages de grades on observe qu’initialement les techniques sont en tachi waza puis progressivement les techniques s’enrichissent de celles en suwari waza puis hamni handachi waza. Toutes les techniques d’immobilisations (ikkyo, nikkyo, sankyo, yonkyo et gokyo) et de projection (kote gaichi, irimi nage, shio nage, tenchi nage, koshi nage) doivent être connues à partir du 2e Kyu. La progression par une augmentation des techniques à connaître et la diversité des attaques (saisies, atémis). Les dan se caractérisent par la maîtrise des principes plus que par le répertoire (cf. tableau 3).
Dan, Directeur technique d’Ile de France a particulièrement bien expliqué cette progression que l’on trouve dans des revues ou sur l’internet et j’incite les lecteurs à ces articles (cf. http://actaikido.nuxit.net/articles.php).
Pour le délai entre chaque grade le tableau 2 donne les informations habituellement recommandées. Il est souvent indiqué que les délais supposent un travail assidu et qu’il faut souvent doubler le délai. Il faut ainsi entre trois et six ans pour former un shodan (1er dan) et plus de treize ans pour un yondan (4e dan). En dehors de quelques passionnés avec peu de contraintes professionnelles ou personnelles ou de ceux qui se destinent à devenir professionnel d’Aïkidos rares sont ceux qui obtiennent ces grades dans les délais minimaux requis. On peut regretter que ces délais soient si longs notamment par rapport aux autres arts martiaux mais est-ce important d’avoir ses dan rapidement ?
Je pense que pour juger un enseignant il existe de multiples critères dont le nombre de gradés formés mais un autre critère tout aussi important est sa capacité à insuffler cet attrait pour l’Aïkido. L’important est de pratiquer longtemps et les dan ne sont que des jalons sur notre chemin. De plus lorsque l’on pratique sur les tatamis qu’ils soient en Europe ou au Hombu dojo personne ne demande quel est son dan.
De plus chacun connait des pratiquants qui sont 1er Kyu, 1er ou 2e Dan depuis de nombreuses années et qui n’ont aucune envie de passer de nouveaux grades qui n’apporteront rien à leur pratique.
Quel est alors l’intérêt de passer des grades ? Globalement il s’agit de déterminer si on peut passer à travers le filtre déterminé par une instance en l’occurrence l’UFA, la CSDGE, une fédération avec des mailles qui sont de plus en fines ou normatives au fur et à mesure que le grade est élevé. C’est une reconnaissance par ses pairs de compétences techniques ou pédagogiques si on se réfère aux brevets d’enseignants. On peut très bien pratiquer de nombreuses années sans souhaiter passer à travers ce filtre. En revanche si on souhaite être enseignant on est dans l’obligation de passer par ces fourches caudines.
Les jurés reçoivent une formation spécifique et essayent de juger sur des critères les plus objectifs sur une matière éminemment subjective. Malgré les récriminations heureusement rares force est de constater que dans la très majorité des cas un accord est trouvé entre jurés et que les candidats ou ceux qui assistent aux examens sont d’accords avec les résultats. Il y aura toujours une part d’impondérables et d’erreurs mais elles sont rares.
Les grades sont ainsi ce quelque chose que nous recevons et chacun y mets une importance relative. Paradoxalement en débutant on veut avoir les grades le plus rapidement et arrivé au-delà d’un certain nombre de dan si on est honnête parfois on se demande si on mérite tous ses dan et finalement en dehors de la représentation, d’un académisme… une interrogation taraude l’esprit : mais à quoi servent les grades ?